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Crise politique en France : quels impacts concrets pour les collectivités territoriales ?

Photo : U.S. DoD / MC1 Alexander C. Kubitza (domaine public). Sébastien Lecornu, au ministère des Armées, Paris, le 7 juin 2024.

Situation politique et budget 2026 des collectivités : où en est-on ? 

Après une démission début octobre suivie d’une nouvelle nomination, le Premier ministre M. Sébastien Lecornu affronte un climat parlementaire sous tension, avec des motions de censure et de l’engagement de ne pas recourir à l’article 49.3 pour le budget 2026. Le projet de loi de finances 2026 est déposé et en cours d’examen : l’adoption nécessitera un accord explicite entre groupes à l’Assemblée nationale. 

Sans 49.3, un vote du budget 2026 sous haute tension

Le gouvernement a annoncé qu’il ne ferait pas usage de l’article 49.3 pour faire adopter le budget de l’État. C’est une procédure spéciale qui permet de faire passer un texte sans vote au Parlement, sauf si une motion de censure est déposée. Ne pas utiliser ce levier signifie que le budget devra être voté par les députés.

C’est une décision forte, mais qui complique encore les choses : l’Assemblée nationale est très divisée et trouver une majorité pour voter le budget risque d’être difficile. Ce flou politique peut retarder l’adoption du budget et ça a des conséquences concrètes pour les collectivités.

Projet de loi de finances 2026 : un calendrier parlementaire serré aux lourdes conséquences pour les collectivités locales

La loi prévoit un calendrier clair pour le budget de l’État. Le cadre juridique est clair : 

En cas d’échec dans les délais, demeurent les mécanismes de continuité, qui restent transitoires. Si ce délai n’est pas respecté, des solutions existent (comme une loi spéciale ou une mise en vigueur partielle), mais elles ne sont pas idéales : 

  • Une loi spéciale pour autoriser les dépenses les plus urgentes (comme fin 2024).
  • Ou une ordonnance pour mettre en œuvre certaines parties du projet, sans vote.

Le PLF 2026 est désormais en ligne et l’examen est engagé.

Façade de l’Assemblée nationale française avec ses colonnes et le drapeau tricolore.

Photo : Bâtiment de l’Assemblée Nationale Française, sur les bords de Seine, Paris, France, prise par Véronique PAGNIER

Tensions budgétaires à l’Assemblée : les collectivités territoriales en première ligne

Même si elles ne sont pas directement impliquées dans le vote du budget national, les collectivités locales en subissent rapidement les effets. Leur autonomie budgétaire est partielle, et plusieurs de leurs ressources dépendent de l’État.

Vers un gel des dotations ? Ce que la crise politique change pour la DGF des collectivités

Chaque année, l’État verse aux collectivités des dotations pour les aider à fonctionner. C’est le cas, par exemple, de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF), qui représente une part importante du budget de nombreuses communes et départements.

Les dotations (dont la DGF 2025 est estimée à environ 27,4 milliards d’euros) et dispositifs d’investissement (DETR, DSIL, FCTVA) restent sensibles au calendrier national : 

  • des décalages de versements 
  • des arbitrages repoussés
  • prudence de trésorerie

Ça complique la planification pour les collectivités, qui doivent souvent commencer à construire leur propre budget dès l’automne.

Projets locaux et investissements publics : quand le blocage budgétaire 2026 menace les chantiers des collectivités

Les subventions de l’État financent aussi une partie des investissements locaux : travaux de voirie, rénovation d’écoles, création de zones d’activité… Ces projets reposent souvent sur des aides comme la DETR, la DSIL ou encore le FCTVA, qui permettent de compléter les budgets locaux.

Mais si l’État ne peut pas acter ses propres crédits dans les délais, certains dispositifs risquent d’être gelés ou repoussés. Cela oblige les collectivités à réorganiser leurs priorités, à décaler des appels d’offres, voire à mettre certains projets en attente, surtout quand la trésorerie est déjà tendue.

Entreprises locales fragilisées par le report des investissements des collectivités territoriales

Quand une collectivité décale un projet, ce sont aussi les entreprises locales qui voient leur activité affectée. Entreprises du BTP, paysagistes… Beaucoup de marchés dépendent directement du calendrier budgétaire local.

Si les collectivités hésitent à engager leurs dépenses ou reportent la signature de marchés publics, cela peut entraîner des baisses de commandes pour certaines entreprises, une incertitude sur les emplois, ou des décalages de trésorerie. Le lien entre stabilité politique et activité économique territoriale est donc bien réel.

Respect des règles budgétaires 2026 : le rôle du préfet et des chambres régionales des comptes

Même en période d’instabilité, les collectivités doivent respecter un certain nombre d’obligations :

  • Équilibre budgétaire : pas de déficit possible.
  • Dépenses obligatoires : certaines dépenses (fonctionnement des écoles, RSA, etc.) doivent être inscrites au budget.
  • Délais à respecter : le budget local doit être voté dans les délais légaux, même si la loi de finances nationale n’est pas encore adoptée.

C’est le préfet qui contrôle ce respect, avec l’aide des chambres régionales des comptes (CRC). Ce contrôle est prévu dans le Code général des collectivités territoriales, aux articles L.1612-1 à L.1612-20. En cas de manquement, le préfet peut saisir la CRC ou même établir un budget à la place de la collectivité.

Collectivités territoriales face à l’incertitude : les enseignements des crises budgétaires passées

Fin 2024, le Parlement n’avait pas réussi à voter le budget dans les délais. Une loi spéciale avait alors été votée pour autoriser l’État à percevoir les impôts et à payer certaines dépenses. Cela avait permis d’éviter le blocage total… mais beaucoup de mesures attendues (dotations, nouvelles aides, ajustements fiscaux) avaient été repoussées.

Ce genre de scénario peut se reproduire, surtout si l’instabilité actuelle dure.

Photo : Intérieur du bâtiment de l’Assemblée Nationale Française

Budget 2026 : 4 scénarios, 4 conséquences locales

 Scénario A  – Le budget est voté dans les temps

Ce qui se passe :
Malgré les tensions, un accord est trouvé au Parlement. Le projet de loi de finances est examiné, amendé puis adopté avant la date limite (fin décembre).

Conséquences pour les collectivités :

  • Les dotations (comme la DGF) sont versées normalement.
  • Les règles fiscales et les aides sont stabilisées.
  • Les budgets locaux peuvent être préparés dans de bonnes conditions.

Ce qu’il faut surveiller :
Même dans ce scénario « idéal », il faudra regarder les choix budgétaires concrets (montants, priorités, aides), car les marges de manœuvre de l’État sont limitées (avis du HCFP à suivre de près).

 Scénario B  – Le vote intervient à la dernière minute

Ce qui se passe :
Les discussions au Parlement prennent du temps. Le vote a lieu dans les derniers jours de décembre, sans franchir la limite des 70 jours.

Conséquences pour les collectivités :

  • Le calendrier est tendu : peu de temps pour analyser les mesures.
  • Certaines décisions locales (budgets, projets, marchés) doivent attendre les derniers arbitrages nationaux.
  • Risque de devoir faire des ajustements rapides début 2026 (décisions modificatives).

Ce qu’il faut faire :

  • Anticiper plusieurs hypothèses de budget.
  • Renforcer la gestion de trésorerie pour faire face à d’éventuels décalages.

 Scénario C  – Loi spéciale ou ordonnance

Ce qui se passe :
Le Parlement n’arrive pas à adopter le budget dans les délais. Le gouvernement utilise les outils prévus par la Constitution : soit une ordonnance (mise en œuvre d’une partie du projet), soit une loi spéciale pour payer les dépenses essentielles.

Conséquences pour les collectivités :

  • Les dépenses prioritaires sont assurées (fonctionnement de base), mais pas forcément les nouvelles mesures ou les ajustements attendus.
  • Les versements peuvent être retardés ou incomplets.
  • Les budgets locaux risquent d’être construits avec prudence, en attendant plus de visibilité.

Ce qu’il faut envisager :

  • Décaler certains investissements ou projets non urgents.
  • Prévoir des clauses de souplesse dans les marchés publics.

 Scénario D  – Blocage politique durable, pas de majorité pour le budget

Ce qui se passe :
Aucune majorité ne se dégage à l’Assemblée nationale. Le refus d’utiliser le 49.3 empêche de forcer le passage du texte. Le blocage dure, malgré plusieurs tentatives.

Conséquences pour les collectivités :

  • Incertitude forte sur les dotations, aides et fiscalité locale.
  • Les arbitrages nationaux sont reportés, ce qui complique la planification locale.
  • Risque d’effets en chaîne sur l’emploi local et l’activité économique (retard des marchés publics, projets suspendus…).

Ce qu’il faut absolument faire :

  • Travailler en mode « plan B » : scénarios alternatifs de budget.
  • Communiquer avec les partenaires locaux (entreprises, associations, fournisseurs).
  • Adapter les délais et clauses des marchés.

Comment les collectivités locales peuvent anticiper et gérer les aléas budgétaires de l’État

1. Sécuriser la trésorerie

Simuler plusieurs hypothèses de budget permet d’identifier les périodes sensibles. Il est recommandé de renforcer les marges de sécurité financières pour affronter d’éventuels retards dans les versements.

2. Réajuster les projets

Les opérations déjà financées peuvent avancer. En revanche, les projets dépendant de crédits d’État incertains doivent être reprogrammés, avec des clauses de flexibilité dans les marchés publics.

3. Rester informé et anticiper

Suivre l’évolution des débats parlementaires, lire les avis du Haut Conseil des finances publiques, et dialoguer avec les préfectures permet de rester agile. Le respect des règles budgétaires locales reste impératif, même en période d’incertitude.

Sources

Cadre juridique des collectivités : les règles budgétaires à connaître en période de crise

  • Équilibre obligatoire du budget local (pas de déficit autorisé).
  • Vote dans les délais impératifs (avant mars pour les communes).
  • Dépenses obligatoires à inscrire : RSA, fonctionnement des écoles, etc.
  • Le préfet veille au respect de ces règles, avec l’aide des Chambres régionales des comptes (CGCT, art. L.1612-1 à L.1612-20).

Les enjeux budgétaires 2026 : les impacts à retenir pour les finances locales

La crise politique actuelle ne se limite pas aux couloirs de l’Assemblée nationale : ses répercussions s’étendent jusqu’aux territoires. En période d’instabilité, les collectivités doivent faire preuve de rigueur, d’anticipation et de pédagogie vis-à-vis de leurs partenaires.

Un second article pourra bientôt compléter ce panorama : comment les entreprises travaillant avec les collectivités peuvent-elles s’adapter aux aléas budgétaires ? Car derrière les lignes budgétaires, ce sont aussi des emplois locaux, des services publics et des projets essentiels qui sont en jeu.

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